Rebögnes & Co...
Une page consacrée à la Rebögne et ses cousines internationales !
Cet instrument sous-représenté figure parmi mes percussions préférées et nombreuses sont les personnes qui m’ont posé des questions à son sujet à l’issue d’un concert. Voici donc quelques éclaircissements!
De la famille des idiophones, ces curieux et amusants instruments sont paradoxalement assez rares, dans le sens où peu de gens en jouent, mais regorgent d’avatars dans une multitude de pays. Vous en trouverez un petit inventaire non exhaustif plus bas sur cette page.
Leur points communs étant :
- qu’ils sont tapés en rythme sur le sol
- qu’ils sont joués avec une baguette – souvent crénelée permettant d’obtenir deux sortes de sons : frappés et raclés
- qu’ils sont généralement joués dans des contextes musicaux campagnard/villageois, plus ou moins traditionnels mais il existe toutes sortes d’exceptions (comme, par exemple, le compositeur britannique David Bruce qui a inclus un Lagerphone dans sa pièce Piosenki qui a été, entre autres, jouée au Carnegie Hall à New-York. Tous les détails de cette histoire ICI
Certains ont des particularités « nationales » reconnaissables, des systèmes ou marques de fabrique originales agrémentés de fantaisie personnelle (Jauram, Lagerphone, par ex.) mais la plupart sont simplement issus de l’imagination et de la créativité des gens qui les fabriquent.
Son origine n’est pas clairement définie. Ce qui est sûr, c’est que l’Allemagne semble compter le plus de Teufelsgeiger et que c’est le pays le mieux documenté sur le sujet.
Une des pistes souvent évoquée est le “Bladder Fiddle” (en français “violon-vessie”) ou “Bumbass”, un simple monocorde doté d’une vessie (de porc ou de vache, par ex.) comme résonateur. En photo ci-contre.
Selon le musicologue allemand Curt Sachs, de tels instruments peuvent être retracés jusqu’à la fin du 17e siècle, lorsque les musiciens mendiants itinérants utilisaient des monocordes primitifs dont il fait état en Allemagne, aux Pays-Bas, en France, en Angleterre et en Islande.
Le chercheur allemand et directeur de musée retraité Manfrid Ehrenwerth mentionne également que des instruments de musique similaires, tels que le violon du diable et la bumbass, existent sous forme d’arcs et de bâtons musicaux depuis le 16e siècle et cite comme autres régions de diffusion la Belgique, la Suisse, l’Italie, l’Espagne, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie. Une source picturale ancienne est le tableau “Sérénade nocturne” du peintre néerlandais Jan Steen datant d’environ 1675 sur lequel on peut voir un musicien avec une bumbass.
C’est une hypothèse possible mais il semblerait que la “Bumbass/violon-vessie” (ou encore “Basse de Flandres” ou “Basse à boyau” en France) ait plutôt été un instrument destiné à jouer des mélodies simples ou des basses.
En témoigne cette vidéo de T.Shawn Johnson qui a reconstitué un de ces instruments ou cette autre vidéo avec une joueuse de Põispill, la “Bumbass estonienne”.
D’autres voient en le « chapeau chinois » (un instrument joué à la base dans les fanfares militaires turques!) une possible source d’inspiration. Vu que cet instrument n’est pas frappé au sol mais simplement secoué en rythme, ça me paraît peu vraisemblable mais qui sait…?
Napoléon l’a introduit au début du XIX e siècle dans les fanfares impériales, Mozart s’en est servi dans sa Marche Turque (« Enlèvement au Sérail ») et Haydn dans sa « Symphonie militaire ».
Ici à gauche, un modèle (ramené au Val d’Illiez par un mercenaire à la fin du XIXe) joué dans l’orchestre valaisan Champéry 1930.
Mais revenons à nos moutons…
Personnellement, je doute fort que ce type d’instrument ait été inventé par une seule personne à un endroit précis. Surtout pour réaliser une idée aussi basique que marquer le tempo en frappant un bâton sur le sol.
De source sûre, on sait qu’au XVIIe siècle certains chefs d’orchestre battaient la mesure à l’aide de « bâtons de direction » (voir plus bas les quelques lignes sur Lully) mais il est tout à fait probable que des australopithèques les aient devancé de quelques centaines de millier d’années…!
Particularité de la Rebögne en Suisse Romande :
A ma connaissance le nombre de Rebögneurs en Suisse est extrêmement réduit, environ 3 ou 4, dont un… mort! (celui ci-contre à droite)
Je n’ai trouvé aucune trace de l’instrument en Suisse-allemande…
Pour ce qui est de la facture, il semblerait que les modèles allemands aient fortement influencé les suisses..!
En Suisse Romande, le nom « Rebögne » a été inventé par feu Mr. Guy Pasche (dit Guy-Guy) de Villeneuve (Vaud) après en avoir fabriqué une lui-même. Par la suite, l’ensemble champêtre dans lequel il jouait a pris le nom de cet instrument emblématique : « La Rebögne », un groupe qui a joué des années 1970 jusqu’à 2000 environ.
2 courts documentaires sur ce fameux Guy Pasche :
Antérieurement à Guy Pasche, Adolphe Crausaz, un autre Villeneuvois mécanicien de métier, aurait inventé un instrument similaire qu’il appelait « Zim-zim » mais il n’en jouait pas…!
Voici une description trouvée sur le livret d’un disque de musiques du Chablais vaudois :
« Rebögne » : instrument à percussion composé d’un manche à balais, d’une grosse boîte de cornichon vide, d’un câble de vélo et de 2 cymbales. L’existence du « rebögnard » (musicien qui en joue) est attestée depuis la plus haute antiquité et serait même antérieure à l’apparition de la femme sur terre (sic). Le rebögnard est jovial, il aime le vin blanc et le boutefas. Il fait volontiers reluire son nez en le frottant avec une couenne de lard .»
Personnellement, cet instrument est parvenu à ma connaissance par l’ensemble villageois « La Brante » à Bernex – Genève, dont l’ancien directeur Patrick Bielser, féru d’instruments de toutes sortes, possède un modèle de Rebögne acquis en Allemagne. (Donc Teufelsgeige ?…)
Il me l’a gentiment prêté afin que je puisse le copier et ainsi fabriquer mon premier modèle que l’on peut apercevoir en haut de cette page à gauche et en jeu dans cette petite vidéo à droite.
Plus tard, en marchant un jour dans la rue avec ma Rebögne, un type est venu vers moi et m’a dit « Ouah, un Ozembuch !! Je ne savais pas que ça existait en Suisse ! Mon père en joue en Slovaquie.»
J’ai donc appris à ce moment qu’il existait ailleurs des instruments similaires, ce qui m’a plus tard donné envie de réunir sur cette page tous ceux sur lesquels on peut trouver des informations.
Par la suite, j’ai complété mon instrumentarium en fabriquant d’autres modèles.
Parmi ceux-ci, un lagerphone et 2 rebögnes de « voyage » (qui sont démontables facilement) et dont une se fixe sur n’importe quel manche à balais trouvable sur place. (voir photos ci-dessous)
J’ai aussi adapté un pogo-stick afin de pouvoir le jouer en sautant soi-même avec l’instrument.
Risques inhérents au jeu
Le cas du compositeur et chef d’orchestre Jean-Baptiste Lully (1632-1687).
Jean-Baptiste, comme ses contemporains, tenait le tempo en tapant par terre avec un « bâton de direction », longue et lourde canne surmontée de rubans et d’un pommeau richement orné, utilisé à cette époque.
Le 8 janvier 1687, son Te Deum doit être chanté et joué avec 150 musiciens pour la guérison du roi atteint d’une fistule anale..!
Lors d’une des répétitions, J.B. s’énerve contre ses musiciens et se blesse un orteil avec le lourd bâton de direction en battant la mesure. Sa jambe ne tarde pas à s’infecter. La blessure devient gangreneuse mais Lully, également danseur, refuse de se faire amputer et la gangrène se diffuse jusqu’au cerveau, provoquant sa mort le 22 mars 1687.
Voici une liste non-exhaustive de différents noms et variations de cet instrument :
Rebögne (Suisse Romande)
Stumpf fiddle (USA-Wisconsin et Minnesota)
Teufelsgeige (Allemagne & Autriche)
Ugly stick (Terre-Neuve, Canada)